La dépression, un mot souvent tabou chez les communautés noires. D’où le travail de sensibilisation et d’éducation à la psychologie mené par la thérapeute camerounaise, Yann V. Tsobgni, qui accompagne le public africain installé à l’étranger vers le mieux-être.
Choc culturel, solitude… des facteurs qui entravent le bien-être de la diaspora africaine. La dépression est souvent perçue par la communauté noire comme une « maladie de Blancs », et la psychologie comme une discipline occidentale. Pour autant, personne n’est à l’abri de cette maladie. Les publics africains de l’étranger en situation de vulnérabilité en sont aussi les premiers touchés.
Pour informer et aider la communauté noire fraîchement – ou non – débarquée dans le pays d’accueil, la thérapeute camerounaise installée au Canada, Yann V. Tsobgni, alimente le blog Noire et Psy et sa page Facebook depuis plus d’un an, en marge de ses fonctions. Née au Cameroun, cette dernière a étudié la psychologie, d’abord à Yaoundé, avant de poursuivre ses études en Belgique, d’où elle ressort diplômée d’un double cursus en psychologie et ressources humaines. Particulièrement sensible à la dimension culturelle de la psychologie, c’est très tôt qu’elle décide de se spécialiser dans la santé mentale pour les Africains immigrés. Parmi le public, elle accompagne particulièrement les mamans africaines célibataires, à qui elle a dédié un guide pour gérer leur monoparentalité.
Comment avez-vous identifié le besoin de la diaspora africaine d’être accompagnée et guidée avec des outils comme votre blog ? A quels types de problématiques ce public est-il le plus confronté ?
J’ai travaillé pour beaucoup de fondations, notamment auprès de Médecins du monde, et j’ai été amenée à rencontrer énormément d’Africains immigrés. C’est auprès d’eux que j’ai constaté les problèmes récurrents qu’ils rencontraient : le choc culturel, la dépression, les relations de couple et l’éducation des enfants. Je suis partie des plaintes les plus fréquentes et j’ai commencé à écrire dessus. J’essaie d’expliquer aux gens quelles sont les causes, les conséquences et ce qu’ils peuvent faire pour prendre eux-mêmes en charge leur santé mentale – s’ils sont réticents à l’idée de consulter un psychologue – pour éviter d’entrer dans la dépression.
Comment expliquez-vous que la psychologie ne fasse pas partie des représentations culturelles de la communauté noire ?
C’est tout à fait normal dans la mesure où chaque culture a sa propre manière de définir les troubles de la santé mentale et les modes de prise en charge. En Afrique, quand on ne va pas bien, on consulte sa famille. Si ça ne va toujours pas, on va à l’hôpital, puis on s’en réfère à des guérisseurs ou des marabouts. Les troubles sont les mêmes, mais le vocabulaire est différent. Si on évoque un cas de schizophrénie à un Africain, cela ne pas lui parler. Or, si on lui dit qu’il entend des voix ou qu’il est possédé, là, il va être réceptif.
Dans l’imaginaire culturel afro, la dépression est une maladie de Blancs. Or, elle touche aussi les Noirs. Quels sont vos clés pour enrayer ces idées reçues ?
J’ai écrit un article intitulé « Je suis noir et je fais une dépression » où j’explique, qu’à la différence de la déprime – qui est passagère -, la dépression est une maladie. Les gens peuvent ainsi se reconnaître dans les symptômes. Je fais de la psychoéducation. Il faut savoir qu’en Afrique, on ne vit pas seul. Les gens sont entourés. Cet environnement familial aide à se relever.
Mais une fois à l’étranger, en Occident, on n’a pas tous ces facteurs de protection. Et c’est là qu’on devient vulnérable, parce qu’on a perdu les ressources sur lesquelles on pouvait s’appuyer et rebondir. Mais tout cela est implicite, on ne s’en rend pas compte. J’utilise le concept de résilience et de ressources personnelles pour aider les gens.
Parmi les personnes vulnérables, la mère célibataire africaine…
Je me suis intéressée à la problématique parce que moi-même je l’ai été pendant quelques années. Je connaissais donc la réalité de l’intérieur. Tout d’abord, il n’y a pas qu’un seul profil de mères célibataires africaines. Mais s’agissant de celles qui ont immigré, elles viennent d’un environnement où il y a les cousines à la maison, une femme de ménage, la grand-mère… Quand elles arrivent en Occident, elles sont démunies parce qu’on ne leur a pas appris à élever un enfant seule.
Un enfant est élevé par tout un village ! Ces femmes se retrouvent dans des situations auxquelles elles ne sont pas préparées. C’est pourquoi elles sont vulnérabilisées. Après avoir animé plusieurs groupes pendant des années, j’ai publié un guide d’auto-thérapie pour les mamans qui n’ont pas les moyens, le temps ni l’envie d’aller voir un psy pour qu’elles aient un outil qui les aide à s’en sortir.
Quels sont les principaux conseils que vous transmettez aux mamans africaines célibataires pour faire face à la monoparentalité ?
Il y en a beaucoup, mais le premier : faire le deuil. Il faut apprendre à parler pour tourner la page. Puis vient la question des enfants. Chez nous, on a tendance à ne pas parler à l’enfant et le laisser déchiffrer la situation par lui-même. Or, les enfants ont besoin qu’on leur explique le contexte (pourquoi maman est seule, pourquoi papa n’est pas là etc.). Il faut veiller à ne pas dire du mal du père aux enfants, parce que ce dernier est une partie d’eux-mêmes.
C’est un travail qui est difficile pour une mère seule. La troisième chose dont je parle ce sont les conséquences de la monoparentalité sur le développement psychoaffectif des enfants : comment l’absence de père va impacter l’homme ou la femme que l’enfant sera demain. C’est une étape négligée mais essentielle pour l’enfant, qui a besoin de repères. J’aborde enfin la question du burn-out maternel. La mère célibataire est surchargée, elle doit s’occuper de tout, et peut finir par devenir aigrie et colérique. C’est pourquoi, il est important de connaître sa santé mentale pour ne pas en arriver là. Il faut demander le plus tôt possible de l’aide et ne pas avoir honte. Je leur conseille de parler aux professionnels de l’école, au voisinage etc.
Quelles clés pour gérer le choc culturel et trouver un équilibre entre sa culture et celle du pays d’accueil ?
Beaucoup me disent ne pas aimer le pays alors qu’en réalité il s’agit d’un stress émotionnel dû à l’ignorance de la culture du pays et à la peur. Il y a un trouble de l’adaptation chez la plupart des immigrés. Il existe plusieurs stratégies d’adaptation : conserver sa culture, la conserver et apprendre/intégrer la culture du pays d’accueil ou se séparer complètement des deux.
C’est en fonction de ce que les gens veulent, que je les aide à travailler leur stratégie. Je dois connaître l’histoire de la migration de la personne, déterminer ses attentes, savoir si la famille est restée au pays, quelle est la situation sur place – si la personne a des papiers ou non, si elle travaille, est étudiante etc. – pour déterminer les stratégies les mieux adaptées aux objectifs personnels des gens.
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