Des services en santé mentale adaptés aux communautés noires
Toutes les cultures n’ont pas la même représentation de la santé mentale. Et entre l’Occident et l’Afrique, les différences peuvent être considérables. Cela se constate chez les immigrants africains au Canada. En 2020, la «psychologue interculturelle» Yann Vivette Tsobgni a fondé à Toronto l’Institut Résiliences, visant la promotion de la santé mentale et de l’éducation culturelle au sein des communautés noires francophones. Psychologue en Europe, mais encore officiellement «clinicienne» au Canada, elle est membre de l’ATTSO et ambassadrice pour le réseau francophone des travailleurs sociaux de l’Ontario.
«Ma passion de l’humain, mon besoin de démystifier la détresse culturelle, les problématiques de santé mentale taboues dans les sociétés africaines, le métier de psychologue, m’ont inexorablement guidé vers une spécialisation en intervention auprès des communautés noires», déclare-t-elle. Yann Vivette Tsobgni, Institut Résiliences Gilles Marchildon.
Selon Gilles Marchildon, directeur, campus du Collège Boréal de Toronto, «l’Institut Résiliences vient combler un vide dans la communauté franco-ontarienne en offrant une réflexion et une action qui sont ciblées, authentiques et compétentes sur les besoins uniques en termes de la santé mentale chez les personnes noires.»
Les communautés noires ne sont pas homogènes Mme Tsobgni reconnaît que «les communautés noires ne sont pas homogènes.
Certains immigrants viennent de pays en guerre, d’autres sont majoritairement venus suite à une filière d’immigration économique.» «Un immigrant de première génération qui est né et a grandi dans son pays d’origine n’a pas les mêmes représentations de la santé mentale qu’un immigrant de deuxième ou troisième génération qui est né et a grandi au Canada.»
Dans plusieurs cultures, en effet, «la maladie mentale est perçue comme de la folie. Les spécialistes qui s’en occupent sont des praticiens traditionnels détenteurs d’un pouvoir de guérison investi de génération en génération. Les psychologues et les travailleurs sociaux ne sont pas des professionnels existants ou reconnus dans ces pays.»
Rejet de diagnostic de santé mentale
Les maladies mentales elles-mêmes ne sont pas perçues et classées de la même manière. «Les symptômes ne veulent pas dire la même chose, et certaines maladies, comme la dépression et la schizophrénie, sont perçues comme des maladies de Blancs!» Cela entraîne un rejet de diagnostic chez beaucoup d’immigrants noirs au Canada. «C’est également une des raisons pour laquelle les services de santé mentale classiques n’attirent pas forcément les immigrants noirs».
«Enfin, certains Noirs se sentent tout simplement plus confortables de parler de leurs problèmes à d’autres Noirs. Sans oublier le racisme, qui pousse une partie de la communauté à se méfier de tout intervenant qui n’est pas Noir.»
Services culturels, éducation et soutien
Soucieux d’ouvrir le débat sur les tabous de la maladie mentale, l’Institut Résiliences mène des recherches dans le but de développer des connaissances sur les besoins de groupes cibles. «La spécificité de l’Institut repose sur son approche qui se veut culturelle et cohérente, avec les transmissions et repères qui font du sens pour les personnes noires», précise Mme Tsobgni, qui est originaire du Cameroun. «Nous aspirons à fournir des services culturels, éducatifs et de soutien en santé mentale pour les membres issus de la communauté noire, africaine, francophone.»
L’Institut Résiliences a récemment lancé son premier magazine en ligne Résiliences, le webzine d’impact sur les cultures africaines et les expériences en matière de santé mentale. «Les familles, les couples, les jeunes, les hommes et les femmes, tout le monde y trouve sa place et y a une rubrique.»
Elle a précédemment publié deux ouvrages de thérapie sur les problématiques de la monoparentalité et des relations parents-enfants: Guérir nos blessures d’enfance et Mère célibataire africaine. «Le cas des mères célibataires est flagrant», indique Yann Vivette Tsobgni. «Elles sont souvent stigmatisées par la communauté comme celles qu’on n’a pas voulu épouser. Refaire sa vie en tant que mère monoparentale constitue un véritable défi dans certaines communautés.»
Renforcement des capacités en santé mentale
L’Institut Résiliences est l’aboutissement de plusieurs années du travail personnel réalisé par Yann Vivette Tsobgni sur l’analyse des problématiques sociales et la mise en place de lieux pour briser les tabous.
«C’est d’abord ma propre résilience face à un deuil traumatique, à l’immigration, et à la recherche de solutions pour ma propre santé mentale», confie-t-elle.
«Il s’agit d’apprendre comment s’ouvrir aux différentes possibilités en termes de soins et de bien-être, tout en conservant ses propres fondements identitaires et culturels.»
«Faire partie d’une minorité visible oblige souvent à se représenter le monde d’une certaine manière. Plusieurs facteurs interviennent souvent sur le plan psychologique et peuvent être à l’origine de difficultés existentielles. Mme Tsobgni comprend très bien ce phénomène», assure Simon Laflamme, professeur au département de sociologie à l’Université Laurentienne.
Réalisations et projets
Parmi les réalisations de l’Institut Résiliences, citons:
- la permanence de soutien en santé mentale pour les membres de ses associations partenaires dont, entre autres, la fondation Vivre100 Fibromes, l’association Handicap’Action
- la mise à disposition d’espaces pédagogiques en santé mentale
- la conception de conférences et séminaires pour institutions
- la mise en œuvre de stages internationaux en santé mentale et en orthophonie.
Les projets actuels de l’Institut incluent le développement d’approches culturelles pour l’accompagnement du deuil en immigration et l’appui aux familles monoparentales.
«Sa présence dans notre espace francophone ontarien est politiquement et socialement hyper pertinente», de dire Catherine Desjardins, psychologue.
«L’Institut Résiliences est une organisation incontournable pour les membres de la communauté noire qui cherchent, en ces temps tumultueux, la santé psychologique intégrée à leurs repères identitaires et culturels.»
Le renforcement des capacités de la communauté noire oriente la mission de l’Institut, doté d’un conseil de gouvernance comprenant trois leaders communautaires dans les domaines de la santé mentale et de l’éducation: Éric Keunne, enseignant, consultant et leader communautaire; Yolande Goufack, éducatrice spécialisée, formatrice et consultante pour l’éducation parentale au Trouble du spectre de l’autisme; Constant Ouapo, directeur de l’Entité 3 de planification des services de santé en français du Grand Toronto.